L’alimentation électrique des Data Centers, le secours électrique, l’effacement, les alternatives aux solutions actuelles (tri-génération, solaire, hydrogène…).
Table ronde Datacenter en Transition, avec José Guignard (GRDF), Jérôme Nicolle (Ceriz), Laurent Orvoën (Eneria), animée par Eric Arbaretaz (Thésée Datacenter) pilote du Think Tank.
Eric Arbaretaz : Parlez-nous des moyens de secours électriques dont disposent les datacenters.
Jérôme Nicolle : Comme de nombreux sites industriels et plus encore sans doute, les datacenters doivent assurer une totale disponibilité de leur alimentation électrique. Ces sites sont dotés de groupes électrogènes, majoritairement à moteurs diesel, ainsi que d’onduleurs et batteries afin d’assurer une bascule sans interruption entre le réseau électrique et les groupes de secours.
Laurent Orvoën : La classification Tier des datacenters impose à leurs exploitants des équipements de secours électriques redondants pour avoir une disponibilité proche des 100% de l’alimentation électrique.
De nombreux équipements sont doublés afin d’assurer la continuité du service en cas de défaillance d’un des éléments. Des systèmes d’alimentation électrique importants sont aussi nécessaires pour palier à d’éventuelles coupures électriques.
Ainsi plusieurs systèmes se relaient en cas de coupure, dans cet ordre :
- des onduleurs et des batteries ;
- après quelques secondes, des groupes électrogènes prennent le relais ;
- en cas de défaillance des groupes électrogènes, une ligne électrique de secours permet d’assurer l’alimentation du datacenter.
Le secours électrique des datacenters est un sujet très sensible pour les exploitants et leurs clients qui exigent des disponibilités absolues de leur process (les serveurs). Les exploitants consacrent des moyens financiers importants, autant en investissement qu’en exploitation. L’ensemble des exploitants apportent ainsi beaucoup de soin dans l’entretien de leurs moyens de secours, avec des budgets maintenance conséquents et des moyens importants mis en œuvre pour les essais périodiques.
José Guignard : En France, les datacenters sont majoritairement directement raccordés au réseau électrique, qui lui-même est alimenté par des installations centralisées. Les datacenters exigent en complément une disponibilité de l’approvisionnement électrique proche de 100%. Cela leur impose des investissements en back up très coûteux pour éviter le risque de rupture de l’alimentation électrique au réseau, même si celle-ci est redondée. Il n’en demeure pas moins que le réseau électrique a déjà atteint ses limites en termes de capacité dans certaines régions ; par ailleurs, le projet du Grand Paris va générer une hausse de la demande en électricité de 4 000 MW, intégrant les datacenters. Or, la région IDF importe aujourd’hui environ 90% de son électricité !
Dans un tel contexte, auquel s’ajoute celui de la transition énergétique, plusieurs facteurs invitent à repenser le datacenter : augmentation de la consommation énergétique, augmentation du coût de l’électricité, complexification croissante de la gestion du réseau électrique avec l’émergence des EnR, dépendance au tout-électrique, appropriation de la question énergétique en local, apparition de mécanismes de régulation du réseau (effacement, marché de capacité…), sur-réservation électrique, concurrence d’usages dans les territoires, acceptabilité sociétale, durcissement des réglementations environnementales, impacts du COVID-19 sur la production et le réseau électriques. Au regard de tout cela, nous constatons que le réseau de gaz et les productions décentralisées d’électricité à partir du gaz répondent déjà partiellement à l’appoint, au secours et à l’effacement d’usage électro-intensif par le biais de la cogénération/trigénération.
Eric Arbaretaz : Quelles seront les tendances dans les prochaines années ?
Jérôme Nicolle : Le raccordement d’un nombre croissant de moyens de production d’électricité de sources renouvelables non pilotables (photovoltaïque et éolien) pourrait poser un problème de stabilité du réseau électrique (transport et distribution) national. L’utilisation de moyens de production ou d’effacement pilotables à maille fine (minutes voire secondes), qui plus est déjà installés et disponibles, permettrait de soulager le réseau sans besoin significatif d’investissements.
Laurent Orvoën : L’utilisation des moyens de secours installés au sein des datacenters pour d’autres applications que le secours pur, dont l’effacement, peut effectivement être évoquée. Cette solution est utilisée dans le secteur industriel et les installations doivent préalablement être adaptées suivant la rubrique 2910, en particulier concernant les émissions. Nous intervenons en maintenance sur ces équipements. Cependant, les exploitants de datacenters ne nous semblent pas prêts à ce jour à modifier la gestion de leurs sites soumis à des contraintes très importantes de disponibilité pour un soutien au réseau électrique.
José Guignard : Le taux de disponibilité est très sensible à la qualité de l’approvisionnement énergétique et aux politiques associées (par exemple, la fermeture de Fessenheim, les multiples tranches nucléaires vieillissantes, le manque de production dans les périodes hivernales, les importations, les effacements au réseau électrique, la mise en fonctionnement des cycles combinés gaz et le développement des EnR solaires et éoliennes qui n’offrent pas l’équilibre et la flexibilité attendus).
Pour autant, la puissance de secours réservée par les datacenters mobilise intensément le réseau électrique, alors même que la ligne d’ultime secours n’est utilisée qu’en dernier recours, c’est-à-dire presque jamais.
La cascade d’équipements et processus de secours engendre un surcoût important tout en ne sécurisant que partiellement la chaîne de criticité. Dans ce modèle actuel, électro-dépendant, l’exploitant de datacenter n’a aucune prise sur une stratégie de réduction et valorisation de son approvisionnement énergétique, il se voit d’ailleurs imposé des politiques (effacement réseau par exemple) qui résultent de contraintes externes et qui sont préjudiciables à la qualité de service qu’il garantit à ses clients (taux de disponibilité). Le couplage du datacenter avec une unité autonome de production raccordée au réseau de gaz en plus du réseau électrique permettrait d’optimiser et de valoriser toute la chaîne de valeur énergétique, et d’assurer des arbitrages pour une autonomie et une indépendance plus forte à l’effacement.
Laurent Orvoën : Il faut noter que le réseau électrique français est extrêmement résilient et c’est même un facteur attractif pour l’installation de datacenters en France, tout comme le faible coût de l’électricité. L’intermittence des EnR est un sujet dans certains pays et elle pourrait le devenir en France, reste à voir à quelle échéance. Tant que nous disposerons d’une base nucléaire répondant à plus de 50% des besoins de consommation maxi (on est au moins à 70% aujourd’hui), il n’y a à priori aucun risque de voir le réseau français s’écrouler. Le réseau français est bien interconnecté contrairement à d’autres pays parfois plus en « antenne » donc avec des bouts de ligne à soutenir.
Jérôme Nicolle : Effectivement, cela dépend de la politique énergétique menée par la France. Celle-ci semble favoriser, par subventionnement élevé, le déploiement de parcs de production éoliens au détriment de capacités décarbonées déjà installées. Si on compare à l’effet de cette politique dans les pays voisins, l’intermittence ainsi provoquée ne pourrait sans doute pas s’équilibrer à l’échelle nationale et peu à l’échelle continentale du fait de la concomitance des situations météorologiques. Le recours à des moyens d’effacement pilotables permet donc d’augmenter la capacité du réseau à accueillir des énergies renouvelables à peu de frais et peu de risque.
(…) A suivre la seconde partie de la table ronde