Le 4 juillet dernier le gouvernement français a rendu publique – via les ministres Christophe Béchu (Transition écologique), Agnès Pannier-Runacher (Transition énergétique) et Jean-Noël Barrot (Transition numérique et des télécommunications) – sa feuille de route pour la décarbonation du numérique, devant intégrer la stratégie nationale bas carbone attendue pour 2024.
On rappellera quelques chiffres de base qui disent à quel point cette décarbonation est devenue nécessaire. Ainsi le numérique pèse pour 2,5% de notre empreinte carbone, et quelques 10% de la consommation énergétique nationale, avec 50 TWh par an. Et les prévisions tablent sur une augmentation de 45% en 2030 par rapport à 2020, ce qui obère l’objectif de neutralité de l’Europe pour 2050.
Simples propositions à ce stade, la feuille de route s’offre comme un recueil de pistes possibles, parmi lesquelles arbitrer.
Dans cette publication, quelques lignes spécifiques attirent notre attention, lesquelles adressent notre filière sous le curieux intertitre : « Adopter une stratégie pour les datacenters ». Si le gouvernement français en est encore à devoir poser les éléments d’une stratégie, c’est donc que les pouvoirs publics, les politiques, les élus et représentants de la haute administration sont encore bien en peine quand il s’agit de penser l’objet datacenter, ses intrants, ses externalités et ses impacts environnementaux. Les datacenters sont par contre bien identifiés comme un des facteurs de la hausse de 45% de la consommation énergétique, portée par la hausse de leur surface totale, au gré de la mise en marché de nombreuses nouvelles infrastructures, elles-mêmes de taille croissante.
Parmi les quelques lignes ainsi consacrées à l’identification de propositions pour alléger l’empreinte carbone des datacenters, on trouve beaucoup de pistes déjà vues et connues : urbanisation des salles IT, mise en œuvre des technologies de refroidissement optimales, valorisation de la chaleur fatale, entre autres.
Mais une proposition – la toute dernière – est nous semble-t-il nouvelle, et montre une vraie évolution sur un sujet d’importance. Cette proposition est ainsi libellée : « …favoriser la production sur site en autoconsommation ».
Une telle évolution représente – en France – un vrai changement de paradigme, dans un pays qui se targue à juste titre d’avoir le réseau de distribution électrique fiable le plus grand au monde.
Mais de quoi s’agit-il au juste ? La production sur site voit arriver les assets de production énergétique sur le lieu où cette production sera consommée, production et consommation en un même lieu et en simultanée, en se coupant du réseau de distribution local, qui devient au mieux un simple secours. C’est le modèle du « prosuming », familier en bien des pays dans lesquels les outils de production et les réseaux nationaux sont défaillants.
Mais ce modèle est mal connu en France, pays dans lequel l’énergie, sa production et sa distribution, sont administrées par l’Etat, ou sous sa délégation. L’autoconsommation concerne plus les particuliers, soucieux d’équilibrer tout ou partie de leur consommation par une production, le plus souvent via le photovoltaïque, avec en option l’injection des surplus sur le réseau local, ou le couplage à un dispositif de stockage.
Mal connu et mal perçu, ce modèle est pourtant porteur de bénéfices importants, et peut aider à résoudre le challenge de l’énergie pour les datacenters.
En choisissant un mix sécurisé et diversifié de sources d’énergies sans carbone, cette solution permet aux datacenters de devenir neutres en carbone pour leur exploitation. Prenons le temps de lister quelques-unes de ces sources d’énergie, un élément clé du bilan carbone total. On pense au photovoltaïque, comme pour les particuliers, mais avec un changement d’échelle en passant à la ferme solaire. Nous avons en France aussi de l’hydroélectricité, même si cette ressource est menacée par le bouleversement climatique en cours. L’éolien est aussi une source d’énergie renouvelable et décarbonée. Il faut aussi mentionner le gaz, dans sa version biogaz issu de la valorisation de nos déchets, qui va pouvoir faire tourner des turbines multi-fuel, capables de fonctionner avec des biofuels, de l’ammoniac ou bien encore de l’hydrogène vert. Ces mêmes turbines peuvent aussi en sus de l’électricité produire en trigénération du chaud et du froid, et participer ainsi à l’équilibrage de réseaux de chaleur ou de froid.
On le voit le choix des énergies primaires et des modes de production, selon le territoire concerné et la puissance appelée, est structurant pour palier l’intermittence de certaines énergies renouvelables.
Dans ce modèle, le datacenter n’est plus un fardeau qui vient assécher les ressources énergétiques de son environnement proche, il devient au contraire un soutien et un secours en énergie verte pour ses voisins, par injection de ses surplus.
La production sur site couplée à une microgrid permet aussi l’atteinte d’un très haut niveau de résilience et de redondance, ce qui à son tour autorise à se passer des générateurs de secours, de leurs coûts comme de leurs impacts environnementaux quand ils utilisent du diesel.
Que l’on comprenne bien : cette solution est déjà accessible, et même déjà déployée pour des datacenters, à Singapour, en Malaisie, en Inde, ou aux Etats-Unis. Dans un contexte ou ce n’est plus le prix de l’énergie mais bien son accessibilité même qui est menacée, le modèle du prosuming offre à la fois la perspective de la sécurisation de son approvisionnement, en même temps que l’atteinte de la neutralité carbone sur le plan énergétique.
On ne peut donc que saluer la pertinence de cette proposition – « …favoriser la production sur site en autoconsommation » – et appeler les décideurs à lui donner une priorité haute au moment de l’examen et de l’arbitrage sur la feuille de route du 4 juillet dernier.